vendredi 16 janvier 2015

Musique | Si oui, oui. Sinon non.

Albert Marcœur et le Quatuor Béla 

Se mettre dans les oreilles du Albert Marcœur, c’est fréquenter l’inouï, forcément. Le chanteur, compositeur, multi-instrumentiste – clarinettiste de formation – se joue des canons de la chanson de variété. Alors naturellement, le néophyte reste d’abord interdit. Et puis très vite – ou pas : personne n’est parfait –, il se découvre un goût pour le travail ciselé, la pièce vocale et instrumentale fignolée à souhait.

Albert Marcœur, l’auteur
L’abondante discographie de cet artiste iconoclaste court des années 1970 à aujourd’hui. En début de carrière, tandis qu’il occupait une place de choix sur la scène avant-gardiste française, on lui prêtait des faux airs de Frank Zappa. Ça en flatterait plus d’un. Lui, ça a fini par l’agacer parce qu’il se défie autant des étiquettes que de la bureaucratie. Laquelle fait bien mauvais ménage avec la musique, selon lui. C’est ce qu’il raconte en substance dans Mais Monsieur Marcœur, comment se fait-il que vous ne soyez pas venu plus tôt ?!, un ouvrage illustré par les olibrius helvètes Plonk & Replonk. Il y relate, avec humour et sans acrimonie, ses déboires avec la société qui gère les droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SACEM). Dit comme ça, ce n’est pas très engageant. Mais Albert Marcœur excelle à rendre l’absurdité des situations, comme lorsqu’il est témoin, dans les années 70, du refus d’un employé de la SACEM d’enregistrer, pour un chanteur, le titre « Amoureux de toi ». Verdict : déjà pris. Le titre deviendra après maintes combinaisons : « Amoureux de toi, je veux vivre ». Cocasse.

Albert Marcœur, l’indépendant
Albert Marcœur est aujourd’hui libéré de ces lourdeurs administratives puisqu’il a fondé sa propre société de droits (la Société des Droits d’Albert Marcœur - SDAM) et son propre label avec son frère Claude : "Claude Marcœur et moi-même avons fondé "Label Frères" afin de ne plus dépendre ni de Pierre, ni de Paul, ni des deux. Afin de ne plus être en situation d’éternelle attente. On est quand même dans une situation plus que saugrenue : les compositeurs frappent à la porte des producteurs et des distributeurs, ça devrait être le contraire, non ?", questionne l’artiste, d’une désarmante lucidité.
Cette indépendance gagnée assure les conditions de réalisation d’une musique hostile à tous carcans, expérimentale mais populaire, amusante mais exigeante. Qualités qu’apprécie tout particulièrement le Quatuor Béla, reconnu dans le monde de la création contemporaine pour son audace. Depuis 2006, le quatuor à cordes collabore régulièrement avec Albert Marcœur. Ensemble, ils signent notamment la bande originale du Pressentiment, film de Jean-Pierre Darroussin sorti en 2005. Et ils donnent le concert Si oui, oui. Sinon non. conçu autour d’un véritable quintette. Les archets du Quatuor Béla se frottent à la voix d’Albert Marcœur, dont il fait usage comme d'un instrument. "C’est même plus qu’un instrument puisqu’elle est capable d’émettre une ribambelle de sonorités aussi différentes qu’incongrues. Enveloppée de timbres, de voiles, d’enveloppes allant de la plus mordante à la plus doucereuse, elle est capable de se fondre dans le pupitre de cordes, de rivaliser avec un trombone, participer à une conversation avec les bois.", rectifie, joueur, le musicien.

A.D.

Albert Marcoeur et le Quatuor Béla
Plonk & Replonk 
MC2 : Grenoble

Si oui, oui. Sinon non.
Jeudi 22 janvier, 19h30











L'entretien dans son intégralité

Pouvez-vous revenir sur la création de votre propre label "Label frères" ? Pourquoi vous être mis en quête de cette indépendance ?
Albert Marcœur : "La grande cavalerie en matière d’intermédiaires et nourrissons divers, de fructificateurs et profiteurs variés dans le monde musical, m’a très vite donné envie de ne pas laisser traîner mes albums n’importe où. Et a fortiori d’ignorer sans aucune agressivité, sans aucune aigreur les propositions et les suggestions des directeurs de marketing, chefs de produits et  autres parachutés des grandes surfaces et des négociants de la musique. Claude Marcoeur et moi-même avons donc fondé "Label Frères" afin de ne plus dépendre ni de Pierre, ni de Paul, ni des deux. Afin de ne plus être en situation d’éternelle attente. On est quand-même dans une situation plus que saugrenue : les compositeurs frappent à la porte des producteurs et des distributeurs, ça devrait être le contraire, non ? 
La mission première de Label Frères fut de racheter toutes les bandes marcoeuriennes depuis 1974, c’est à dire depuis le premier enregistrement. De les rééditer progressivement et chronologiquement en digipak avec illustrations originales. www.marcoeur.com a vu le jour en 2001. Et pendant qu’on y était, on a monté aussi notre petit réseau de distribution qui s’appuie sur la toile bien sûr, mais également sur certains magasins spécialisés de musique et de BD, certains labels étrangers qui ont manifesté leur intérêt (Royaume-Uni, Japon, USA, Suisse, Pologne, Allemagne..)."

Entre autres compositions, vous avez travaillé sur des musiques de film : comment se sont décidées ces collaborations et notamment celle du film de Jean-Pierre Darroussin pour lequel vous vous êtes associé au Quatuor Béla ? Comment travaillez-vous dans ces circonstances ? 
A.M. : "Les réalisateurs et metteurs en scène qui font appel à moi connaissent mon travail et me font généralement confiance. Ils me confient leurs images sur lesquelles je travaille en toute liberté. Avec Jean-Pierre Darroussin, ça s’est passé un peu différemment. Son film, Le Pressentiment, est tiré du roman éponyme d’Emmanuel Bove. Or, je connaissais ce roman pour l’avoir jadis dévoré et j’ai tout de suite pensé à un quatuor à cordes, allez savoir pourquoi ! Je n’ai pas visionné le film ; j’ai commencé à écrire en pensant à ces ambiances si particulières qui m’étaient restées et que mon cerveau n’avait pas oubliées." 

Dans vos différentes pièces, peut-on dire que vous traitez votre voix comme un instrument à part entière ? 
A.M. : "Tout à fait. C’est même plus qu’un instrument puisqu’elle est capable d’émettre une ribambelle de sonorités aussi différentes qu’incongrues. Enveloppée de timbres, de voiles, d’enveloppes allant de la plus mordante à la plus doucereuse, elle est capable de se fondre dans le pupitre de cordes, de rivaliser avec un trombone, participer à une conversation avec les bois."

D’après vous, y a-t-il un état d’écoute particulier pour apprécier votre musique ? 
A.M. : "Pas du tout. La musique, ça titille, ça interpelle, ou ça laisse indifférent. Pas besoin de combinaison d’écoute ou d’exercices sensoriels préparatoires. Ou la musique émerveille, ou elle irrite. Il y a même des moments où on a l’impression qu’il y en a, mais il y n’y en a pas. Plus rarement, on a l’impression qu’il n’y en a pas mais en réalité, il y en a." 

Quelles sont vos actualités (album, musique de film, pièces) ? 
A.M. : "Des concerts. Avec le quatuor Béla (Grenoble le 22/01, Tours le 12/03, Nantes le 10/04). Avec Et bien d’autres... (Langonnet 56630 le 28/02, Huelgoat 29690 le 01/03, St.-Malo-de-Guersac 44550 le 02/03 et Avignon le 05/03). Avec le Surnatural Orchestra (Paris, le Cirque électrique le 29/05). 
Le Musée de Châtillon-sur-Seine m’a commandé un paysage sonore pour accompagner l’exposition photographique de Claire Jachymiak sur les fondeurs de Châtillon-sur-Seine et de Sainte-Colombe (21). 
Le nouvel album Si oui, oui. Sinon non est enfin programmé. Les premières séances en studio auront lieu les 28, 29 et 30 janvier 2015."

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