mercredi 11 mars 2015

Théâtre | Les Particules élémentaires

Texte : Michel Houellebecq
Adaptation, mise en scène et scénographie : Julien Gosselin

Pour son adaptation théâtrale du roman de Michel Houellebecq Les Particules élémentaires, programmée à la MC2 jusqu’au 21 mars, le jeune metteur en scène Julien Gosselin fut adoubé par la critique et par le public lors de l’édition 2013 du Festival d’Avignon. On se félicitait du bain de jouvence que l’homme faisait subir à la chose théâtrale. De fait, la musique live, la vidéo, le jeu particulièrement physique des comédiens, la succession des scènes à la manière d’un montage cut (rapide voire brutal) acèrent les arrêtes du roman, lui offrent une limpidité nouvelle.


Une saga familiale moderne
Parmi les raisons qui l’ont poussé à porter Les Particules élémentaires à la scène, Julien Gosselin évoque la « forme de saga familiale d’aujourd’hui » que prend le roman, finalement assez proche de l’ambition d’un Balzac que Michel Houellebecq admire sans réserve. Comme le créateur de La Comédie humaine, l’auteur place ses personnages au cœur de la grande histoire, en fait les marqueurs d’une époque, ici profondément désenchantée, pour ne pas dire dégénérée.

Des demi-frères aux antipodes
Michel Djerzinski, chercheur en biologie moléculaire, et Bruno Clément, professeur de Français, sont les protagonistes de cette fresque moderne. Nés dans les années 1960 d’une mère gagnée par l’idéologie libertaire, ils sont tous deux abandonnés, sacrifiés sur l’autel de l’utopie soixante-huitarde. Pour Houellebecq, ils cristallisent tous deux les déboires d’une société occidentale vouée désormais au culte individualiste de la jouissance, en premier lieu sexuelle (la quête de liberté sexuelle héritée de 68 ayant muté en nouvel asservissement, selon l’auteur). Le scientifique Michel souffre d’un grave défaut affectif quand Bruno ne vit que pour le plaisir charnel.
Le jeu des comédiens exacerbe les différences entre les deux demi-frères et dessine clairement les contours de l’ensemble des personnages. En cela, le travail d’adaptation est remarquable. Là où le texte du roman est assumé par un narrateur s’exprimant à la 3e personne, drapé dans une distance ironique et amère, la pièce distribue habilement la parole à des comédiens qui l’incarnent avec foi.

L’ironie du désespoir ?
Bien sûr, le regard acide et désespéré de l’auteur transpire de toutes parts. Certaines scènes peuvent même s’avérer pénibles, sur le plan émotionnel s’entend. Heureusement, l’humour si particulier de Houellebecq, ravivé par la facétie de la troupe, opère de nombreuses trouées. Les scènes se déroulant au Lieu, territoire bâti sur les idéaux d’une communauté des années 60 dégradé en camping pour célibataires en mal de sexe, sont à cet égard d’une grande drôlerie. Mais ne nous mentons pas, on ne sort pas indemne d’une virée en territoire houellebecqien.

D’aucuns (et Julien Gosselin fait peut-être partie de ceux-là) voient toutefois un regain d’espoir dans le roman, passé à l’anticipation dans son dénouement. Il est vrai que le narrateur reconnaît à l’espèce humaine quelque noblesse dans ses aspirations. Mais dans le futur imaginé par l'auteur, l’humain ne doit son salut qu’à son extinction programmée au profit d’une nouvelle espèce…

A.D.
Pièce vue à la MC2 de Grenoble le 10/03/2015

© Simon Gosselin

Du 10/03 au 21/03/2015


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire