mercredi 4 février 2015

Théâtre | Tartuffe ou l'Imposteur

Texte de Molière
Mise en scène de Benoît Lambert


« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Le plaisir d’entendre le célèbre vers de Molière est ici d’autant plus grand que l’on rit avec Tartuffe plutôt que de le prendre en grippe tout en s’agaçant de la crédulité d’Orgon. Le bourgeois a tout abandonné au faux dévot qu’il a introduit chez lui : sa conduite, sa conscience, sa fortune, sa fille, son fils – renié au profit de l’escroc – et même sa femme. Cet incroyable entichement demeure un mystère dans le texte de Molière. Dorine, l’impertinente suivante un peu « trop forte en gueule », tire ainsi le portrait – peu flatteur – de l’imposteur : « Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. ».


Un Tartuffe séduisant et enjôleur
Ici point de Tartuffe ventripotent au teint fleuri mais un comédien (Emmanuel Vérité) relativement jeune, fluet et non dénué d’attrait. La préciosité de son jeu révèle avec éclat la malice d’un Tartuffe dont on se prend à espérer que l’entreprise aboutira. On jubile de le voir ainsi se jouer d’une famille bourgeoise sure de son fait, engoncée dans le confort de sa classe.
Benoît Lambert, aux rênes de ce Tartuffe ou l’Imposteur, se place dans la lignée de Louis Jouvet qui, le premier, réhabilita le personnage en le dotant d’un charme trouble. Benoît Lambert va même plus loin en proposant une lecture socio-économique que le texte de Molière supporte très bien. N’en déplaisent donc aux tenants de la réactualisation à toute force du théâtre de répertoire, ce Tartuffe-là ne fustige pas un fanatisme religieux dont on déplore à raison les vicissitudes aujourd’hui.

Une lecture marxiste
Ce « gueux » de Tartuffe (mot qu’utilise Dorine pour le désigner) est le grain de sable qui grippe l’ordre bourgeois. Il devient sous les traits d’Emmanuel Vérité « un genre d’Arsène Lupin déguisé en dévot pour mieux réussir son coup, une crapule charmante dont l’entreprise malhonnête prend des allures de revanche de classe. », selon le mot de Benoît Lambert.
Le metteur en scène est donc loin de se réjouir du sort qu’a réservé Molière, dans le dénouement – avait-il le choix ? –, à son scélérat. La propriété de la famille, à savoir ce qu’elle a de plus cher, lui est restituée par le représentant d’un prince éclairé « ennemi de la fraude » ! Ici le retournement de situation est traité avec le ridicule qui sied à cette abracadabrante irruption (ou deus ex machina, conformément à la terminologie du XVIIe siècle). À rebours des costumes actuels que portent les comédiens, l’exempt arbore un habit d’époque tout de blancheur et de clinquant. La lumière divine et drolatique qui auréole le sauveur d'Orgon souligne à propos la tendance obséquieuse de Molière à l’endroit du pouvoir. Le dramaturge n’était en rien le révolutionnaire qu’on présente quelques fois dans les manuels. Son public était fait d’aristocrates et de grands bourgeois. Mal lui en aurait pris de se le mettre à dos.
Malgré tout, les nombreuses variations autour de Tartuffe témoignent de l’extraordinaire potentialité scénique que renferme le texte. Benoît Lambert, qui voit en Tartuffe une sorte de victime de classe, ne prend pourtant pas le parti d’une lecture tragique de la pièce.

Dorine et Tartuffe : les meilleurs ennemis
La scénographie et le jeu des comédiens exacerbent plutôt les aspects vaudevillesques de la comédie. On emprunte volontiers les portes dérobées qui se fondent dans ce décor mouvant, tantôt opaque et cerné de dorures à l’image de la cellule bourgeoise, tantôt transparent et mobile lorsque les fondations de la famille vacillent. Les comédiens offrent tous un panel de gestes et de mimiques réjouissants jusqu’au couple de jeunes premiers formé par Valère et Mariane, la fille d’Orgon. 
Pas facile pourtant de donner corps à ces silhouettes falotes qui servent surtout à donner la réplique à la truculente Dorine, ici brillamment incarnée par Martine Schambacher. Elle rivalise d’adresse avec l’intrigant. Mais ses motivations sont autres. Elle est au fond, avec son insatiable bagout, le garant de l’ordre bourgeois, jalouse d’une place qu’elle a su arracher à cette famille à force de malice. La mise en scène souligne de manière inédite la proximité de ces deux « gueux » perdus en territoire bourgeois.


A.D. (pièce vue à la MC2 le 03/02/2015)
Compte rendu critique

© Vincent Arbelet


MC2: Grenoble
Du 03/02 au 07/02/2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire