Mise en scène de Benoît Lambert
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Le
plaisir d’entendre le célèbre vers de Molière est ici d’autant plus grand que
l’on rit avec Tartuffe plutôt que de le prendre en grippe tout en s’agaçant de
la crédulité d’Orgon. Le bourgeois a tout abandonné au faux dévot qu’il a
introduit chez lui : sa conduite, sa conscience, sa fortune, sa fille, son
fils – renié au profit de l’escroc – et même
sa femme. Cet incroyable entichement demeure un mystère dans le texte de
Molière. Dorine, l’impertinente suivante un peu « trop forte en
gueule », tire ainsi le portrait – peu flatteur – de l’imposteur :
« Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. ».
Un Tartuffe séduisant
et enjôleur
Ici point de Tartuffe ventripotent au teint fleuri mais un
comédien (Emmanuel Vérité) relativement jeune, fluet et non dénué d’attrait. La
préciosité de son jeu révèle avec éclat la malice d’un Tartuffe dont on se prend
à espérer que l’entreprise aboutira. On jubile de le voir ainsi se jouer d’une
famille bourgeoise sure de son fait, engoncée dans le confort de sa classe.
Benoît Lambert, aux rênes de ce Tartuffe ou l’Imposteur, se place dans la lignée de Louis
Jouvet qui, le premier, réhabilita le personnage en le dotant d’un charme
trouble. Benoît Lambert va même plus loin en proposant une lecture
socio-économique que le texte de Molière supporte très bien. N’en déplaisent
donc aux tenants de la réactualisation à toute force du théâtre de répertoire,
ce Tartuffe-là ne fustige pas un fanatisme religieux dont on déplore à raison
les vicissitudes aujourd’hui.
Une lecture marxiste
Ce « gueux » de Tartuffe (mot qu’utilise Dorine
pour le désigner) est le grain de sable qui grippe l’ordre bourgeois. Il
devient sous les traits d’Emmanuel Vérité « un genre d’Arsène Lupin
déguisé en dévot pour mieux réussir son coup, une crapule charmante dont
l’entreprise malhonnête prend des allures de revanche de classe. », selon
le mot de Benoît Lambert.
Le metteur en scène est donc loin de se réjouir du sort qu’a
réservé Molière, dans le dénouement – avait-il le choix ? –, à son scélérat.
La propriété de la famille, à savoir ce qu’elle a de plus cher, lui est
restituée par le représentant d’un prince éclairé « ennemi de la
fraude » ! Ici le retournement de situation est traité avec
le ridicule qui sied à cette abracadabrante irruption (ou deus ex machina, conformément à la terminologie du XVIIe
siècle). À rebours des costumes actuels que portent les comédiens, l’exempt
arbore un habit d’époque tout de blancheur et de clinquant. La lumière divine et
drolatique qui auréole le sauveur d'Orgon souligne à propos la tendance obséquieuse de
Molière à l’endroit du pouvoir. Le dramaturge n’était en rien le
révolutionnaire qu’on présente quelques fois dans les manuels. Son public était
fait d’aristocrates et de grands bourgeois. Mal lui en aurait pris de se le
mettre à dos.
Malgré tout, les nombreuses variations autour de Tartuffe
témoignent de l’extraordinaire potentialité scénique que renferme le texte.
Benoît Lambert, qui voit en Tartuffe une sorte de victime de classe, ne prend
pourtant pas le parti d’une lecture tragique de la pièce.
Dorine et Tartuffe :
les meilleurs ennemis
La scénographie et le jeu des comédiens exacerbent plutôt les
aspects vaudevillesques de la comédie. On emprunte volontiers les portes
dérobées qui se fondent dans ce décor mouvant, tantôt opaque et cerné de
dorures à l’image de la cellule bourgeoise, tantôt transparent et mobile lorsque
les fondations de la famille vacillent. Les comédiens offrent tous un panel de
gestes et de mimiques réjouissants jusqu’au couple de jeunes premiers formé par
Valère et Mariane, la fille d’Orgon.
Pas facile pourtant de donner corps à ces
silhouettes falotes qui servent surtout à donner la réplique à la truculente
Dorine, ici brillamment incarnée par Martine Schambacher. Elle rivalise d’adresse
avec l’intrigant. Mais ses motivations sont autres. Elle est au fond, avec son
insatiable bagout, le garant de l’ordre bourgeois, jalouse d’une place qu’elle
a su arracher à cette famille à force de malice. La mise en scène souligne de manière inédite la proximité de ces deux « gueux » perdus en
territoire bourgeois.
A.D. (pièce vue à la MC2 le 03/02/2015)
Compte rendu critique
© Vincent Arbelet
|
MC2: Grenoble
Du 03/02 au 07/02/2015
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