vendredi 5 avril 2013

Théâtre | Le retour

Texte d’Harold Pinter 
Mise en scène de Luc Bondy

Retour sur une polémique

En ce moment, dans le milieu culturel grenoblois, les langues vont bon train à propos du Retour, la pièce d’Harold Pinter mise en scène par Luc Bondy qui se joue à la MC2. On adore asticoter ce spectacle, lui jeter à la tête de vilains mots. Mais pourquoi tant d'animosité ?

Le premier reproche qui est fait à la pièce tient à sa distribution bling bling : Bruno Ganz, Emmanuelle Seigner, Louis Garrel, Pascal Grégory, et les moins connus du grand public, Jérôme Kircher et Michal Lescot.
Des pronostics s’établissent quant au montant du budget et, on le sait, en France, dans le milieu théâtral qui plus est, la question de l’argent est indécente. Le théâtre - surtout public - doit rester le parent pauvre, mais honorable, du cinéma. On suspecte, en outre, que ce recours à des comédiens bankables ait comme unique visée de remplir les salles : quelle drôle d'idée. Et on constate ensuite – bonne ou mauvaise foi ? – que les prestations les plus convaincantes sur le plateau ne sont pas celles des stars du grand écran. Bref, on redoute la contamination du théâtre par le virus cinématographique : business, requins et compagnie…

Reste la question du texte de Pinter, qui possède en soi son potentiel polémique, hier comme aujourd’hui. La pièce est-elle sexiste ? C'est la grande question. Les uns voient, en creux, chez Pinter, le dénonciateur du machisme. Les autres y décèlent plutôt le chantre du sexisme le plus crasse. Evidemment, comme toujours dans ces cas-là, tout est question de degré de lecture. Et c’est là que le metteur en scène intervient, infléchissant forcément le sens de notre lecture par sa mise en scène. 

Alors, comment Bondy interprète-t-il le texte de Pinter ? Rappelons tout de même l’argument de la pièce. Teddy, parti faire carrière aux États-Unis, revient au foyer sans crier gare. Ledit foyer, exclusivement masculin, se voit unanimement envoûté par Ruth, la femme de Teddy. Au départ de ce dernier, tous se mettent d’accord pour garder la jeune femme sous leur toit à condition qu’elle accepte de se prostituer. Les défenseurs de Pinter estiment que le dramaturge montre là une jeune femme manipulant les hommes, marionnettes sans conséquences. Ses détracteurs fustigent son intention de donner de la femme une image déplorable à travers cet unique personnage féminin, vénal au possible.

Le jeu de la comédienne s’avère capital dans l’orientation du texte. Emmanuelle Seigner, au phrasé toujours lancinant et aux attitudes langoureuses et provocatrices, ferait plutôt pencher le texte vers le sexisme. À aucun moment on ne peut remettre en cause la décision des hommes de prostituer leur hôte tant cette dernière paraît les y inviter. Bien sûr on pourra toujours rétorquer que tout cela est pure manipulation de la part de la malicieuse jeune femme. Mais alors le texte inviterait à penser que pour assujettir les hommes, les femmes ont l’unique recours de la séduction et du sexe. En outre, dans la mise en scène de Luc Bondy, certaines scènes dont la teneur graveleuse est lourdement orientée vers le comique, mettent mal à l’aise, surtout à l’écoute du rire gras qui enfle dans la salle...

A.D. (pièce vue à la MC2 le 4 avril 2013)

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