jeudi 17 octobre 2013

Opéra | Histoire du soldat, suivi de El Amor brujo

Direction musicale : Marc Minkowski - MDLG
Mise en scène : Jacques Osinski - CDNA
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta - CCNG


Q

ue l’on se penche sur les conditions initiales de la genèse d’Histoire du soldat et de El Amor brujo et l’on trouvera, à cœur, la contrainte. En 1915, le compositeur espagnol Manuel de Falla répond à une commande de la part d’une danseuse de flamenco qui souhaite le voir écrire pour elle une « gitanerie musicale ». À quelques années de là, en Suisse, Igor Stravinsky et Charles-Ferdinand Ramuz désirent créer un spectacle ensemble mais la guerre leur interdit d’être dispendieux. Dans ces conditions, point d’opéra mais une nouveauté, fruit de la contrainte, un « spectacle de poche itinérant ». Stravinsky écrit une partition pour sept musiciens. En réponse, Ramuz façonne un texte à l’image de son soldat : simple. Mesure, donc, et parcimonie.


D
eux mots qui définissent assez mal la collaboration des trois artistes réunis autour de la MC2: Grenoble, à savoir le chef d’orchestre Marc Minkowski (des Musiciens du Louvre Grenoble), le metteur en scène Jacques Osinski (du condamné Centre Dramatique National des Alpes) et le chorégraphe Jean-Claude Gallotta (du Centre Chorégraphique National de Grenoble). Comme leurs illustres prédécesseurs, les trois hommes ont dû se colleter avec la contrainte : celle de travailler ensemble... C’est donc pour que chacun puisse avoir sa place dans l’érection de l’édifice qu’ils ont opté pour un mimodrame (Histoire du soldat) et un ballet-pantomime (El Amor Brujo).
C
elui pour qui la charge s’est faite la plus contraignante est sans aucun doute Jean-Claude Gallotta dont la contemporanéité de la danse devait s’insinuer au sein de ces univers. S’ajoute à cela la présence d’une boîte dans la scénographie d’Histoire du soldat, boîte dont la surface au sol trace un espace avec lequel les danseurs doivent composer. Mais comme souvent en art, la contrainte libère les potentialités. Ainsi, les corps virevoltants des danseurs traduisent la vie tumultueuse à laquelle le soldat, claquemuré dans un cube transparent, s’est soustrait en cédant son violon au diable contre quelque nourriture. De même, dans de superbes ralentis, les corps miment la distorsion temporelle dont le soldat est le jouet (quand il croit que trois jours passent, il s’écoule en vérité trois années). Les corps et leurs mouvements deviennent ainsi signifiants, permettant aux différents langages de convoler en justes noces. En ce sens, superbe est encore ce reflet sur une des parois du cube qui enferme le soldat : on y devine, parmi les miroitements de lumière, les partitions de l’orchestre, situé dans la fosse dans un immédiat contrebas. Se trouvent alors embrassés, via cette image fugitive, les différents arts à l’œuvre.


L
a boîte, au gré des variations lumineuses, se fait mouvante et assume la part dramaturgique qui lui est allouée : incarner l’intériorité rugueuse du soldat. Les arrêtes de cette cage dorée dessinent des ombres menaçantes au sol qui viennent frapper de leur droiture le corps fluide des danseurs. Le charme de ces tableaux est surplombé, de bout en bout, pas la présence du récitant qui apporte sa cohérence au récit. Un récitant, lui aussi polymorphe, tantôt déclamant, tantôt chantant, mais toujours accoudé à son pupitre éclairé. Le comédien Johan Leysen réussit à incarner, tour à tour, cette force transcendante, lorgnant ce benêt de soldat avec ironie, ou cet être plein d’empathie, délivrant les pensées inquiètes du personnage cloitré.
C
’est ce même personnage de récitant qui fait office de transition vers la seconde création, El Amor brujo (L’Amour sorcier). Il disparaît pour laisser un plateau vide, strié de raies de lumière aveuglante, sur lesquelles se découpe bientôt la silhouette frêle d’Olivia Ruiz. La suite est à l’avenant qui voit le corps de la chanteuse passer de mains en mains dans une chorégraphie qui relègue les danseurs du CCNG au rang de faire-valoir. Tout s’organise autour de la gitane campée par Olivia Ruiz, dont la performance, certes remarquable, est sans cesse montrée du doigt. Reste que la chorégraphie n’en est pas moins transfigurée, plus solaire et charnelle que dans la première partie Histoire du soldat. L’orchestre, augmenté (quinze musiciens), peut également déployer à l’envi le spectre de sa virtuosité. Mais l’argument de la pièce, empreint de magie et d’amours déçues, est dilué dans cet écrin brillant à la gloire de la star.


A.D.

Spectacle vu à la MC2 le 16/10/2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire